ENTRETIEN AVEC PATRICE QUEF

Situé dans un cadre idyllique en plein cœur de la Provence, le studio Miraval est une résidence entouré de plus de 4OO hectares de forêt et de vigne, pouvant accueillir 15 personnes et offrant des prestations de type hôtelière. Des groupes tels que les Pink Floyd ("The wall"), Yes ("Union"), Wham, Cris Rea, the Cure ou David Sylvain ont enregistré à Miraval. Patrice QUEF, le gérant et l'ingénieur du son de ce site répond à quelques questions de l'économiste Jean Louis Caccomo et de moi même.

Jean Louis Caccomo : Vous pourriez avant tout définir votre activité dans ce studio ?

Patrice Quef : Je suis ingénieur du son et je m'occupe de ce studio depuis maintenant 15 ans, un ingénieur du son plutôt à la retraite… dans ce métier, dépassé la quarantaine c'est terminé. En raison de la demande de la clientèle, qui est souvent jeune (la moyenne d'âge varie entre 25/30 ans), à leurs yeux ils est plus facile d'avoir des rapports humains lorsqu'on est de la même génération, moi je ne me sent pas vieux…

Olivier Coron : Ce sont eux qui se sentent jeune !

P. Q : C'est ça ! Ils ont plus tendance à se tourner vers des jeunes qui ont sûrement moins d'expérience que moi (cela fait 25 ans que je traîne dans ce métier), mais dont le contact parait plus facile. J'approche de la cinquantaine et c'est certain qu'en Europe il est rare de voir des ingénieurs du son dépassant 40/45 ans. La plupart de mes collègues sont sur le carreaux et ne vont pas tarder à l'être.

Le monde en crise ?

P. Q : La crise dans le monde de la musique existe mais je pense que c'est plus une crise de créativité que commerciale, les maisons de disque ne se sont jamais aussi bien porté qu'en ce moment. Leur chiffre d'affaire est de plus en plus important, la courbe va diminuer, parce que le parc des disques compacts est saturé.

J.L.C : Ce chiffre d'affaire se fait sur des têtes d'affiche ?

P. Q : Non, il y a eut deux conjonctures, la naissance du C. D a été un renouveau qui a stimulé le public, et par ailleurs la réédition des anciens catalogues ne coûte pas un centime, en dehors du prix du disque qui est de 8 francs pour les grosses boites. Ce que je reproche c'est que les sommes gagnées n'ait pas été réinvesties dans la production ; il faut 10 ans pour faire un artiste, pour qu'il rapporte à la maison de disque, cet investissement n'a pas été fait, ou très peu, je me demande ce qu'il va se passer dans quelques années.

La ou les choses on évolué c'est dans le fait que la plupart des productions sont faites par des gens extérieurs aux maisons de disque, (à part le catalogue de la maison bien sur). La maison de disque n'assumant plus que la distribution.

O. C : C'est à peu près le même principe que pour le cinéma ?

P. Q : Oui, les prix d'un enregistrement de musique dite "de variété" sont de plus en plus élevé, un studio doit multiplier par 2 ses investissements tout les 5 ans, les machines n'ont que 5, 6 ans de durée de vie, il faut les remplacer régulièrement pour rester concurrentiel.

De nos jours, il faut être fou pour monter un studio, lorsque j'ai commencé nous travaillions sur du 4 pistes, maintenant nous sommes au 32 digital, je pense que le futur c'est le disque dur, mais le prix des machines ne diminue pas ! il faut avoir un magnétophone digital si l'on veut attirer une clientèle, je viens d'acheter une console dont le prix c'est multiplié par 2 en moins de 8 ans ; mais le prix de location du studio est le même depuis ans, il a même tendance à chuter. Il faut savoir que les maisons de disque, lorsqu'elles ont un disque à enregistrer elles font faire des devis, si nous voulons travailler il faut baisser les prix. Certains studio tournent en dehors de la rentabilité.

 

La manipulation

J.L.C : Sur le marché musical, entre l'offre et la demande, peut on dire que l'offre subit les caprices imprévisibles de la demande ou bien que la demande est plus maléable, plus façonnable ?

O. C : Les gens sont ils plus manipulable en 92 qu'ils l'étaient en 195O ?

P. Q : Pas du tout, il n'y a aucune recette ! aucune prévision de vente, personne ne se risquera à prévoir le succès d'un disque. Si il y avait une recette, tout le monde l'utiliserait !

J.L.C : N'y a t-il pas eut des analyses statistiques sur le top 5O afin de mieux produire ce que les gens achètent ?

P. Q : Le top 5O est il le reflet de ce que les gens aiment ? N'y a t-il pas tricherie ?

Les maisons de disque font du commerce, il a été dit de sources officieuses que des maisons achetaient elle même des disques afin qu'ils entrent dans le top 5O, pourquoi ? Parce qu'en étant dans le top 5O il est diffusé et a donc plus de chance d'être connu du grand public. Les média obligent cela, le système du top 5O est une absurdité, ce n'est pas le reflet du goût des gens. Les directeurs de programmations des radios/télévisions décident de la diffusion ou pas d'un disque, sur leurs critères qu'ils croient universels. De nombreuses radios ont des intérêts dans la diffusion puisqu'elles ont monté des maisons d'éditions. En matière de musique, le plus grand barrage ce n'est plus les maisons de disques mais les média. C'est la raison pour laquelle les maisons de disques étaient aussi motivés pour créer la chaîne musicale (M6), afin d'avoir leur propre réseau de promotion. Cela finira un jour ou l'autre de cette façon, les grosses boites ont les moyens.

O. C : Pensez vous que les maisons de disques et les médias sont plus frileux qu'il y a 2O ans ?

P. Q : Je ne retrouve pas actuellement dans les maisons de disque, certains producteurs que j'ai connu, qui prenaient des risques important, qui étaient découvreurs de talents, comme Jacques Bedos par exemple, qui a découvert Maxime le Forestier, il était à la recherche de la bonne variété française. Peut être cela correspondait plus à une époque. La créativité provient maintenant des maisons de disque indépendantes.

J.L.C : On peut faire l'hypothèse d'un rapprochement étroit entre la crise économique et le fait que les maison de disques ne prennent pas de risques.

P. Q : Absolument, le potentiel de créativité des musiciens est toujours là mais il y a de la part des maisons de disque un manque d'investissement dans le futur. Il y a 2O ans, un artiste devait - avant de faire un disque - faire du cabaret, des scène, le disque était le résultat du succès public. De nos jours, c'est l'inverse, si un artiste n'a pas fait un tube il n'y a personne à ses concerts.

O. C : Le public est plus frileux alors ?

P. Q : Le public va voir…

J.L.C : ce qu'on lui dit d'aller voir !

P. Q : C'est un peu ça. Ce sont les radios et les télévisions qui ont le pouvoir. D'ou la crainte des maisons de disques qui ne savent pas ce qui va plaire aux média, ce qui conduit les producteurs a vouloir copier ce qui marche.

J.L.C : Le disque compact single ne permet il pas (par sa capacité de stockage) des créations plus longues qui sortes des 3 minutes qu'offrait le 45 tours ?

P. Q : Il y a le critère radio qui fait qu'un morceau de plus de 4 minutes ne passe pas car il mange des temps publicitaires. Une bonne chanson de 6 minutes a peu de chances de passer sur des radios commerciales. Nos chaînes nationales ressemblent un peu à la BBC et passent de la bonne variété française, je ne sais pas pourquoi les radio FM se spécialisent toutes dans le même créneau, c'est la même chose qu'à la télévision.

J.L.C : Revenons sur les maisons de disques. Les principales sont elles des filiales des multinationales ?

P. Q : Absolument

J.L.C : Y a t-il un rapport entre la maison mère et les filiales.

P. Q : C'est la dictature. D'après mes sources (non officielles), la plupart des grosses maisons installées en France sont américaines ou japonaises, parfois allemandes, lorsqu'elles réalisent des profits l'argent est rapatrié dans le pays de la maison mère. Une boite importante en France comme IMA aurait un budget pour la production française de 8 millions de francs par an, environ 7 ou 8 albums… le coût moyen d'un album se situant en France entre 600 000 francs et 2 millions, nous sommes loin des Anglo-saxons.

J.L.C : Pour être rentable un disque français doit être vendu à combien d'exemplaire ?

P. Q : Le dernier album d'Higelin a coûté plus de 2 millions, pour rentrer dans les frais il faudrait qu'il en vende a peu près 80 000 mille…. tout le monde ne peut pas arriver à un tel chiffre.

O. C : Vous parliez de la Grande Bretagne qui investie plus dans la fabrication des albums, comment expliquez vous cette différence ?

P. Q : C'est simple, j'ai vu des petits groupes anglais totalement inconnus du grand public français qui vendaient 2O, 3O mille disques en France, pareil en Angleterre, en Italie, en Espagne…. au total 200 000 disques ! Parce qu'ils sont anglais, les pays francophones sont la Suisse, la Belgique, le Canada…

O. C : Une affaire de langue ?

P. Q : Tout à fait

J.L.C : Mais comme le dit Véronique Sanson, les chansons en anglais ne sont pas comprise par une majorité !

P. Q : C'est le coté latin, on est plus attaché à la musique qu'au texte. Combien de jeunes peuvent parler des paroles d'une chanson ?

O. C : Il vaut mieux !

P. Q : C'est vrai, les textes anglais sont souvent pauvres. Vous savez il y a une frontière entre nous et les anglais, la guerre de 100 ans a existé et elle continue !

J.L.C : Quelles vont être les conséquences du traité de Maastricht pour les studio ?

P. Q : Je n'en voit qu'une, positive, c'est la monnaie unique. Lorsqu'une monnaie comme la Livre chute, cela augmente le coût des studios français pour les anglais ; je n'ai jamais été aussi heureux qu'à l'époque ou le dollard et la livre étaient à 10 francs, je n'ai travaillé avec les américains qu'à cette époque. Actuellement, le Yen est fort, aussi nous travaillons avec des Japonais.

O. C : Pour revenir aux machines, franchement, quel est le gain musical de 48 pistes au lieu de 12 ?

P. Q : La facilité du travail. Par ailleurs la façon de travailler à changé, lorsque le nombre de piste est grand on a la liberté d'enregistrer le même instrument sur de nombreuses pistes, ce qui nous permet de jouer avec les sons différents lors du mixage aucune décision n'étant prise à l'enregistrement, actuellement, l'enregistrement c'est du remplissage de piste. C'est au mixage que l'on décide de la couleur.

O. C : La décision se fait entre le groupe et l'ingénieur du son ?

P. Q : Oui, ou le producteur qui est souvent l'ingénieur du son.

J.L.C : Quelle est la relation entre le groupe, le producteur et l'ingénieur du son ?

P. Q : Elle est très étroite, c'est le producteur artistique qui décide de la couleur qu'il veut donner au groupe, j'ai vu des groupes anglais qui avait un très grand respect pour le producteur et qui lui laissé décider du son.

O. C : C'est bien le cas des "Simples Mind" avec Steve Lilywhite ou Trevor Horn avec "Frankie goes to Hollywood" qui ont totalement modifié le son de ces groupes.

P. Q : C'est exact, d'où l'intérêt d'un 48 pistes que l'on ne rempli pas toujours, mais qui laisse la possibilité de pouvoir changer quelque chose au dernier moment.

O. C : Vous pensez qu'après le 48 pistes ce sera le disque dur ?

P. Q : On va supprimer la bande, le développement de l'informatique nous conduit à cela. C'est une direction naturelle, le travail de montage sera plus simple et la qualité encore supérieure. C'est vrai qu'il y a encore des gens qui développent l'analogique, et qui parlent d'une certaine chaleur sonore avec ce système, il y a des modes, comme celle des micro à lampes que l'on voit de plus en plus…. des compresseurs, des équarrirez à lampes.

O. C : Objectivement, vous voyez une différence ?

P. Q : On repart 15 ans en arrière. C'est vrai que la texture sonore est plus chaude, c'est due au fait que ces vieux systèmes rabotent certaines fréquences ; il n'y a plus les extrêmes aiguës, ni les extrêmes graves. Lorsqu'on fait le même enregistrement en analogique et en digital c'est le jour et la nuit, les gens qui recherchent cette "chaleur" sont ceux qui n'ont pas eut l'habitude d'entendre les sons tels qu'ils étaient. La réalité c'est le digital, dès l'enregistrement, l'analogique transforme le son. Est ce important d'enregistrer la réalité ? C'est une autre question.

J.L.C : Avec l'informatique, n'y a t-il pas eu pour les maisons de disques l'idéal d'une musique sans musicien ?

P. Q : Non, L'intérêt de la musique produite par des synthétiseurs se situe surtout, pour une maison de disque, au niveau du coût, les musiciens coûtant chers (800 francs la séance de 3 heures étant le minimum syndical), il y a eut, lors de l'apparition de la cassette audio, il y a plus de 15 ans, avec la chute du marché du disque qu'elle a entraîné (en raison du piratage), il y a eut une tentation des maisons de disque de préférer les machines aux musiciens. Un orchestre a corde de 12 musiciens c'est 12 fois 800 francs. Avec un musicien et un synthé on arrivait a peu près à la même chose, c'était un nouveau son qui a attiré le public, maintenant il en a peut être assez. Il faut dire aussi que contrairement à ce qu'on pourrait imaginer c'est très long de programmer une machine, et l'on s'aperçoit qu'avec des musiciens habitués des studios on va plus vite, l'un dans l'autre c'est parfois plus intéressant de ne pas utiliser les synthétiseurs.

En fait, je pense que le son ce n'est pas ce qui fait vendre, avant tout il y a la musique et l'artiste. Si le son est mauvais mais l'artiste est bon, son disque marchera. Si on a tout c'est bien.

Dans le métier de la variété on cherche avant tout à choquer l'oreille des gens avec des sons soit disant nouveau. Phil Collins utilise de vieilles boites à rythme qui, mélangées au son actuel amène une sonorité qui attire l'oreille.

On constate actuellement un retour des sonorités acoustiques alors qu'on les avait oubliés pendant 10 ans (en raison des synthétiseurs et des ordinateurs), aujourd'hui on recherche de vrais cordes, de vrai piano, les gens avaient oublié ses sonorités.

J.L.C : Peut on prévoir ces changements et annoncer comme on le fait pour la mode "Beaucoup de guitares pour 93…"?

P. Q : Non, il y a une tendance, un retour vers l'acoustique, c'est certain, mais cela demande beaucoup de moyens.

J.L.C : l'informatisation a t-elle permit de gagner du temps à l'enregistrement ?

P. Q : On perd beaucoup de temps ; il y a cependant de plus en plus de personnes qui programment chez elle et qui lancent la machine une fois dans le studio. Il y a 15 ans, lorsqu'on enregistrait, on faisait 3 titres par séance, aujourd'hui, si l'on fait un titre par jour c'est bien !

J.L.C : Peut on se passer des musiciens aujourd'hui ?

P. Q : Si l'on fait de la musique programmée (séquenceur, synthétiseur, boite a rythme…) on peut tout à fait s'en passer, mais c'est long à programmer. Avec ce système, c'est le musicien-programmeur qui fait les sons, il n'y a pas de prise de son.

O. C : C'est ce qui a conduit à des sons de synthétiseur que l'on retrouvait de façon identique d'un groupe à l'autre.

P. Q : Oui, les bases de sons des synthétiseurs (comme le DX7, qui s'est énormément vendu) ne varient pas beaucoup, on a donc retrouvé des couleurs identiques un peu partout.

O. C : L'utilisation du sampler est elle une pratique courante ?

P. Q : Oui, mais il y a une concurrence de plus en plus grande avec les musiciens, il y a un retour des musiciens.

J.L.C : Pourquoi ?

P. Q : Parce qu'il y a une vie que l'on avait perdu, il y a 10 ans, toute la base était synthétique, on en est revenu ; la musique ce sont des vibration, un feeling que l'on a pas avec les machines. L'intérêt des synthétiseurs se situe au niveau du coût.

O. C : A propos du ras le bol dont vous parliez, on peut citer cette phrase de Robert Wyatt qui dit :" J'ai écouté un disque de flamenco, juste une vieille guitare et une voix et ça sonne mieux qu'un enregistrement sophistiqué ; donc je me dis que ça doit être possible de vivre sans cette saloperie de technologie coûteuse, c'est une des choses que je suis déterminé à faire. Je ne suis pas radin, j'achète de la très bonne viande pour mon chien, quand c'est important je dépense de l'argent, mais pour une boite à rythme non".

P. Q : Oui, il y a l'exemple de William Sheller qui a fait un succès incompréhensible de qui que ce soit, avec des chansons accompagnées uniquement au piano. Pour la petite histoire, il était en gala, ses musiciens n'étaient pas là, obligé de joué il s'est accompagné au piano et cela a plu.

Il n'y a pas de recette.

J.L.C : Les critères sont donc des critères de non sélection.

P. Q : Oui, il ne suffit pas d'avoir tout un armement pour faire un disque qui va plaire, ce sont des choses impalpables.

 

UNE PUBLICATION DE L'ASSOCIATION "LE RYTHME ET LA RAISON"

 

 

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